Olivier GABIN, mes fictions

Fictions fraîches directement de l'auteur aux lecteurs !

NOUS SOMMES TOUS CHARLIE

Bonjour,

La nuit porte conseil, et j’estime avoir bien fait d’attendre un peu avant de vous gratifier de ce texte. Dont la publication relève d’une ironie aussi cinglante qu’involontaire : à la fois l’année où le nombre de mes pages écrites sur des sujets hors 11 septembre 2001 a dépassé le nombre de pages de mes nouvelles de la série Une Journée de Septembre et le jour où j’allais vous dire que j’avais corrigé les liens donnant accès à ma dernière nouvelle de la série SARU…

Je ne reviens pas sur l’actualité : dix membres de la rédaction de Charlie Hebdo ont été assassinés par des fanatiques hier, ainsi que deux collègues fonctionnaires, comme moi, rattachés au Ministère de l’Intérieur comme policiers. Cela me touche particulièrement à plusieurs niveaux, en tant que citoyen bien évidemment, mais aussi en tant qu’écrivain, athée, anarchiste et rationaliste.

Charlie Hebdo a été la cible de fanatiques sanguinaires qui se planquent derrière une religion pour pouvoir justifier un passage à l’acte de leurs pulsions meurtrières. Comme tout organe de presse, on pouvait ne pas être d’accord avec leur ligne éditoriale et les critiquer. Sur l’affaire des caricatures de Mahomet, j’ai trouvé que certaines étaient à mon avis de mauvais goût. Mais, pas plus que je ne demanderai à ce qu’on ferme Reopen911 ou Fox News, je n’ai soutenu ceux qui étaient contre la publication de ces caricatures, peu importe leur contenu. Des caricatures de mauvais goût d’anarchistes, j’en ai vu qui étaient bien pire que ça, et elles n’ont suscité en moi qu’une profonde indifférence. De ce côté-là, je suis dans la même ligne qu’un Noam Chomsky : la liberté d’expression qu’il faut défendre, c’est d’abord celle de vos pires ennemis.

Je profite de cette liberté d’expression pour faire passer des idées qui, dans certains pays, me vaudraient pas mal d’ennuis, de la perte de mon travail à la peine de mort suivant les cas. Et des idées qui m’ont d’ailleurs valu, ici, de recevoir des commentaires allant de la menace de procès à la menace de mort. Venant de la part de fanatiques qui avaient préféré soutenir des théories de la conspiration plutôt qu’une théologie. Des gens qui ont tous en commun l’enfermement volontaire dans un dogme totalitaire coupé de la réalité, et ne veulent pas admettre que l’on pense différemment qu’eux. Quand il ne s’agit pas de refuser d’admettre que l’on puisse penser tout court.

Pour moi, ça s’est bien terminé, les procéduriers n’ont jamais donné suite à mes réponses leur donnant l’adresse du palais de justice de Grenoble pour suite au civil et du procureur de la République pour éventuelle suite au pénal, les menaces de mort n’ont été que des incidents isolés qui ne se sont plus reproduits après la clôture par mes soins de la série Une journée de Septembre début 2001 parce que j’estimais avoir fini de traiter le sujet. Pour la rédaction de Charlie Hebdo, il n’en fut rien, avec le dénouement que l’on connaît. Comme quoi, quand vous dérangez vraiment un certain ordre établi, celui du consensus mou qui utilise cyniquement TOUS les extrêmes pour faire passer au milieu des mesures autrement inacceptables (casse sociale planifiée entre autres), les rappels à un certain ordre tombent. Et cela, dans l’indifférence générale tant qu’il n’y a pas de morts.

Je vous parle donc de cet événement tragique parce que je m’y sens impliqué à plusieurs niveaux. Dans mes nouvelles, plusieurs de mes personnages sont journalistes, ou écrivent dans des journaux en plus de leur profession, j’ai aussi durement critiqué les journalistes mainstream en les traitant d’ouvriers sur la chaîne d’assemblage du consentement (lire à ce sujet Le Divertissement ou la Mort dans ma série Une Journée de Septembre par exemple) et je m’en suis régulièrement pris aux fanatiques de tous bords, pas plus tard que le mois dernier avec mon dernier roman sorti. D’autre part, parmi les victimes, Bernard Maris m’était le plus connu : il va me manquer le vendredi matin sur France Inter, keynésien comme moi, originaire de la ville où j’ai fini mes études universitaires, Toulouse, et du sud-ouest comme moi. Et aussi Cabu, Charb, Wolinski, dont j’ai apprécié les caricatures.

Pour les auteurs de ce crime, il y a une justice dans ce pays qui, quoi qu’on en pense, est un Etat de droit dont je participe au fonctionnement à mon modeste niveau professionnel (greffier d’une juridiction administrative spécialisée) et je lui fais confiance. Je pense surtout aux croyants sincères et respectueux de la société dans laquelle ils vivent (Saalam Aleikum Clémence !) qui ont été durement blessés de voir ces fanatiques prétendre défendre la même croyance qu’eux. Si des fanatiques tuaient des gens au nom de l’anarchie politique (ce qui fut le cas par le passé), je condamnerai tout autant, il n’y a pas de double standard chez moi. C’est pour cela que je suis aussi solidaire des croyants pacifistes qui refusent que leur religion soit utilisée comme permis de chasse aux incroyants.

Un dernier mot à destination de ceux qui ont attisé le fanatisme des criminels qui sont passé à l’acte hier. Oui, c’est bien à vous que je pense, messieurs les « polémistes » qui avez vendu de la haine du musulman : voilà le résultat de votre action. Vous avez votre part de responsabilité et, à votre place, j’aurais du mal à dormir tranquille. Je pense entre autre au niveau littéraire : dans les années 1930, nous avons eu, avec Louis-Ferdinand Céline, un grand écrivain qui s’est embourbé dans des délires antisémites. Aujourd’hui, dans le même domaine, nous avons un faiseur médiocre, paresseux et démagogue, mais qui pourrait être un grand écrivain s’il cherchait à faire autre chose que de l’argent facile et de la gloire rapide à coup de provocations grotesques, qui a toujours été un raciste anti-arabe et un islamophobe patenté et qui se retrouve avec une promotion aussi inattendue qu’ignoble de son dernier opus ouvertement raciste. Et qui n’a pour différence avec les criminels fanatiques qui ont fait douze morts que sa couverture médiatique et le fait qu’il n’ait pas d’entraînement militaire… Bon courage pour la suite de sa carrière littéraire, si toutefois il y en a une, sachant que Céline a eu du mal à publier après 1945.

Voilà, c’est juste mon ressenti sur cette affaire. J’espère faire partie, au rayon anar tendance socialiste libertaire, de ces gens posés que l’on peut rassembler pour défendre la liberté d’expression, de conscience, et d’opinion. Merci à vous de m’avoir lu.

Une homme qui tue un enfant pour défendre une idéologie ne défend pas cette idéologie : il tue un enfant – Albert CAMUS

Pour savoir qui est ton maître, cherche en toi celui que tu ne peux critiquer – VOLTAIRE

Un dernier hommage irrévérentieux à Charlie Hebdo et aux douze victimes d’hier.

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